lundi 23 mai 2011

Femmes au volant, police au tournant

Ce dimanche, selon une militante pour les droits des femmes, une jeune femme qui a osé défier l’interdiction de  conduire a été arrêtée en Arabie Saoudite. Ce n’est pas la première fois que Manal al-Charif, 32 ans, enfreint cette loi.

http://www.specialist-auto.fr/une-femme-voilee-au-volant-22-euros-damende/
Vendredi déjà, elle avait posté sur You tube , une vidéo d’elle en train de conduire dans la ville de Khobar, à l’est du pays.  Elle a été arrêtée une première fois samedi par la police, et, devant son refus d’obtempérer, la police religieuse, la mottowah, est intervenue et la jeune femme a été privée de liberté pendant quelques heures . Dimanche matin, elle a été arrêtée une nouvelle fois à son domicile et incarcérée à la prison de Dammam.
Manal, dans sa vidéo, explique les conditions de vie des femmes dans son pays. Elle y raconte notamment , sous forme de conversation avec une autre femme, les humiliations quotidiennes des femmes, forcées d’attendre  le bon vouloir des hommes de sa famille ou des chauffeurs de taxis pour les emmener en ville quand elles n’ont pas les moyens de se payer un chauffeur privé. Elle affirme également qu’il n’existe aucune loi qui interdit formellement les femmes de conduire une voiture et que cette interdiction est seulement due à des facteurs sociaux. Pourtant, ce royaume ultraconservateur suit des lois très strictes issues d’une interprétation très rigoristes de l’Islam qui interdit notamment la mixité et, de ce fait, les Saoudiennes n’ont pas le droit de conduire une voiture.

Woman2drive, une initiative qui roule
L’initiative de Manal al-Charif s'inscrit dans un mouvement plus large.  En effet, il y a environ une semaine, Najla Hariri a parcouru pendant 4 jours les rues de Jeddah, deuxième ville de l’Arabie Saoudite, sans incident. Cette militante pour le droit des femmes fait partie d’un groupe de Saoudiennes, dont fait partie Manal al Charif,  qui a lancé sur Internet une campagne, Woman2drive, pour que les femmes musulmanes défilent en voiture le 17 juin prochain en réaction à cette interdiction jugée injustifiée .
Une manifestation qui n’est pas sans rappeler une action similaire dans les années 90. A cette époque, alors que le pays était en pleine guerre du Golfe, une cinquantaine de Saoudiennes avaient défié de la même façon les autorités en prenant la volant devant la police religieuse. Ces femmes avaient été arrêtées pour être relâchées quelques heures plus tard vu que rien dans la loi n’interdisait explicitement la conduite automobile. A  l’époque, cette première action avait déchaîné les hommes religieux qui ont qualifié d’immoral le comportement de ces femmes. Celles-ci, au vu de ce tollé, s’étaient vues exclues de leur emploi et le permis international qu’elles s’étaient procuré leur ont bien sûr été confisqués. Mais moins d’un an après ces faits, les manifestantes ont pu réintégrer leur emploi et ont même reçu des compensations financières.
Pourtant, trente ans après ce coup d’éclat rien n’a évolué. Si on se réfère à une interview accordée par le prince Saoud al-Fayçal, en novembre 2007, le ministre des Affaires étrangères avait à l’époque déclaré : « personnellement je pense que les femmes saoudiennes ont le droit de conduire mais nous ne sommes pas la partie qui émet les autorisations. C’est aux familles de décider. Il ne s’agit pas d’une affaire politique mais sociale ».
Le pouvoir en place nie donc tout interdiction formelle pour les femmes de conduire et , pourtant, la police a bel et bien arrêté Manal al Charif.
Une rumeur qui tombe à pic
8 ans après la manifestation de 1990, une rumeur a fait son chemin parmi les Saoudiennes. Il serait permis aux femmes de conduire mais à certaines conditions: seules les femmes âgées de plus de 35 ans pourraient prendre le volant, entre 7 heures et 19 heures, et à condition d'être munies de l'autorisation expresse de leur « mahram », autrement dit de leur tuteur mâle, père, mari ou frère. Une telle permission aurait déjà été une réelle progression pour ces femmes. Il se trouve que l’Arabie Saoudite est le seul pays à interdire la conduite aux femmes au nom de l’islam. Dans tous les pays voisins, eux aussi musulmans, les femmes peuvent conduire. à l'étranger, les Saoudiennes ne s'en privent pas non plus, et dans le désert, loin des témoins, les Bédouines ne se gênent pas pour piloter le 4 X 4 familial.
Il s’est pourtant avéré par la suite que cette promesse de changement en 1998 n’était qu’un leurre. Il s’agissait en fait d’une tentative de redresser l’ économie saoudienne. En effet, déjà à cette époque, les Saoudiennes devaient recourir à un chauffeur . On  dénombrait déjà plus de 500 000 chauffeurs. Mais payer un chauffeur pour le moindre déplacement pèse bien évidemment très lourd dans le budget familial et, lorsqu’une famille n’a pas les moyens de se payer un chauffeur, c’est le mari, le frère ou le père qui prend alors le relais.
Voilà pourquoi, à leur tour, les hommes d'Arabie Saoudite se sont convertit graduellement à l'idée que leurs épouses soient aussi des conductrices. Mais comme l’a confié à l’époque une Saoudienne, " laisser les femmes conduire n'est qu'un début. Ce serait un pas important vers l'émancipation des femmes, il ne pourrait plus y avoir le contrôle sur les femmes que nous connaissons actuellement ".
Cette lueur d’espoir pour les femmes, désireuses d’acquérir un peu de liberté, s’est finalement éteinte bien vite puisque 13 ans après cette époque, les femmes ne sont toujours pas en mesure de pouvoir conduire librement une voiture. Les autorités religieuses ont donc jusqu’à présent gagné la bataille. Mais pourquoi tant d’acharnement ?
Interdire la conduite aux femmes : Quel intérêt ?

Les conservateurs veulent bien admettre que la religion n'interdit pas aux femmes la conduite automobile, mais pour eux, cela entraîne inévitablement des situations que condamne l'islam. Par exemple :
            " Si les femmes peuvent conduire seules, qu'est-ce qui les empêchera de rejoindre leur amant ? ". Le fait qu'une femme soit seule avec son chauffeur ne semble pas en revanche les effaroucher.
            " Si un pneu crève, la conductrice va être amenée à retirer son voile pour changer la roue, ou bien à s'adresser à un inconnu pour qu'il l'aide ".
            Une autre rumeur prétend que lorsque les autorités religieuses ont objecté que si les femmes pouvaient conduire, les hommes provoqueraient délibérément des accidents pour pouvoir les accoster, les autorités auraient répondu qu' « en cas d'accident entre un conducteur et une conductrice, l'homme serait présumé responsable de l'accident et que les sanctions seraient sévères ».
En Arabie Saoudite, les femmes sont soumises à des règles de vie très strictes.
(Photo : AFP)
Quel espoir pour l’avenir en Arabie Saoudite ?
Après l’échec de l’obtention du droit de vote fin avril, les militantes espèrent, grâce à la campagne woman2drive, faire évoluer les mentalités dans ce royaume ultra conservateur. Dans ce pays où les phases de progrès et de recul s’alternent, les femmes sont considérées comme des citoyennes de seconde classe (les lois leur interdisent aussi de voyager sans l'autorisation d'un tuteur, et les placent en position d'infériorité en cas de divorce ou d'héritage) . Un remaniement législatif ne serait donc pas suffisant. Il est primordial que l’Arabie Saoudite porte un regard neuf sur les femmes.
On peut, dès lors, se demander pourquoi ce pays continue a dénigrer la gent féminine. D’autant plus que les déclarations selon lesquelles les restrictions imposées aux femmes sont d’origine islamique, notamment le pouvoir conféré à une autorité masculine sur chaque aspect de leur vie, sont fausses. En effet , les femmes dans l’Islam n’ont pas toujours été reléguées au second plan. Dans le Coran, on peut lire que les femmes ont joué un rôle de premier plan en soutenant le prophète Mohamed, en le conseillant et en répandant son message. Sa femme, Khadija, gérait son propre commerce et fut la première à croire en son message. Bien d’autres femmes très respectées ont eu des rôles prééminents au sein du gouvernement, de la politique et de la société tout au long de l’histoire de l’islam.
Le problème réside dans les traditions conservatrices et l’interprétation étroite des textes religieux qui n’autorisent pas les opinions divergentes. Le but, pour de nombreux religieux conservateurs, est de garder les femmes en dehors de la sphère publique.
A l’heure du printemps arabe, alors que de nombreux musulmans hommes et femmes confondus réclament la liberté dans leur pays, on peut se dire qu’il est ridicule de continuer à tergiverser sur le fait que les femmes puissent être autorisées à voyager  décider ou conduire seules. Pourtant , très tôt, on inculque aux fillettes saoudiennes qu’elles ne sont pas importantes en raison de leur sexe tandis que les petits garçons apprennent qu’ils sont privilégiés dans la société et qu’ils seront les futurs mâles dominants.
Malgré cette éducation stricte reçue depuis leur plus tendre enfance, aujourd’hui, les militantes ont décidé de mener une bataille dan la guerre de l’émancipation en Arabie saoudite en commençant par de petites revendications comme la conduite automobile.Pour la première fois, une organisation de femmes a formé un comité en Arabie saoudite pour faire pression sur les autorités en vue d’obtenir le droit de conduire pour les femmes du royaume. Elles entendent adresser une pétition au roi Abdallah dans les prochains jours. Rendez-vous le 17 juin pour savoir ce qu’il se passera cette fois pour les manifestantes. Le pouvoir pourrait décider de leur accorder le droit de conduire. Une petite concession des conservateurs, un grand progrès pour le droit des femmes…

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